Chronique miraculeuse : Un banc sous un Ginkgo biloba (part 1)

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Le couple avance dans l’une des allées du splendide jardin qui abrite le mémorial de la paix d’Hiroshima. Nous sommes à la mi-décembre et le climat s’avère vigoureux, humide et froid, comme tous les ans à cette époque. Heureusement, cette journée est clémente et offre aux visiteurs une après-midi ensoleillée. Originaires de France, les deux promeneurs sont, une fois de plus, conquis par la beauté du site. Depuis leur arrivée, il y a de cela quelques jours, ils n’ont cessé de s’émerveiller en découvrant les parcs et jardins publics qui jalonnent la ville. Formidablement arborés et conçus avec sobriété et finesse, ils incitent à la promenade méditative et à l’introspection. On est tenté de murmurer pour ne pas troubler la quiétude des lieux et la concentration des pratiquants de Tai-Chi.

Le couple n’est pas vraiment jeune, mais c’est pourtant d’un pas vaillant qu’il avance sur le chemin de galets blancs qui doit les mener au Dôme de Genbaku, ou du moins à ses vestiges. Ayant été construit en briques recouvertes de ciment, c’est un des rares édifices de la ville à ne pas s’être effondré lors de l’explosion de la bombe atomique du 6 août 1945. Afin de ne pas oublier, le site a été conservé à l’identique depuis, entretenant ainsi, le souvenir de cette horrible tragédie au sein de ce splendide parc transformé en mémorial. On dirait que depuis, la végétation de ses jardins veut recouvrir, de sa luxuriante beauté, les vestiges de l’horreur survenue dans cette ville jadis.

Les deux français se tiennent par la main comme les deux amoureux qu’ils furent et qu’ils restèrent depuis. On ne sait distinguer qui de Josette ou de Georges entraine l’autre vers l’édifice qui trône face à eux. « Tu te rends compte Georges ! Depuis le temps que nous voulions venir au Japon ! Même si ce n’est pas la saison la plus douce, passer un Noël sur l’ile d’Honshū, c’est tellement original ! »

« J’ai envie de dire qu’il était temps qu’on le fasse, n’est-ce pas mamie Josette ? » la taquine-t-il.

« Dis donc vieux ronchon, qui est celui qui traîne l’autre ? »  Tous deux rigolent comme des adolescents.

« Nous y sommes presque » annonce Georges, lorsqu’ils passent devant ce qui était à l’origine le Palais d’exposition industrielle de la préfecture d’Hiroshima. Ils admirent en marchant, le dôme miraculé mais ne s’arrêtent pas pour autant. Leur destination se trouve un peu plus loin et le soleil, déjà, s’approche de l’horizon.

« Mais tout de même, quelle tristesse que de devoir, en un si bel endroit et à cette période si festive, se remémorer une telle injustice… que dis-je, une telle abomination ! jusqu’où serions-nous prêts à aller, nous les Hommes ? Tu vois, j’en ai les larmes aux yeux. » se disant, Josette porte sa main libre sur ses joues mouillées et ralentit le pas. Georges aussi.

« C’est vrai ma chérie, personne ne mérite de subir ça, et encore moins des civils, des vieillards… des enfants. »

Josette hoche de la tête, elle est pensive. « Te souviens-tu de cette adorable japonaise que nous avions connue lors de notre pèlerinage de Lourdes ? Te rappelles-tu d’elle ? Elle s’appelait Mayumi, n’avait pas plus de trente ans et était originaire d’Hiroshima. La malheureuse enfant avait moins de 10 ans quand la bombe a ravagé sa ville, sa famille et son corps… »

« Evidemment que je m’en souviens Josette… Tu m’en parles si souvent. Elle avait été adoptée par une famille japonaise catholique après la mort de ses parents et avait épousé cette religion ainsi que la langue française, car elle avait fait toute son éducation dans un établissement catholique dirigé par des sœurs françaises. Elle avait d’ailleurs acquis un incroyable niveau… Bien sûr que je m’en souviens de Mayumi. »

Ils marchent à nouveau, mais peut-être un peu moins vite, Josette se sent un peu fatiguée. Georges aussi. Ils sont plongés dans leurs souvenirs, ceux de leur vie qui fut douce et sereine, en contraste de celle de cette japonaise qui ne connut dès l’enfance que douleurs et tristesse. Ils l’avaient rencontré à Lourdes où elle était venue chercher au sein de la foi, du réconfort, de l’allégresse et pourquoi pas la guérison divine. « La pauvre était en chaise roulante, tant ses jambes la faisaient souffrir dès qu’elle les sollicitait … Nous nous étions bien entendues toutes les deux et je crois qu’en quelques jours nous étions devenues amies ». « Et je te le confirme ma chérie. J’ai même un vague souvenir de vexation me concernant, car vous ne vous quittiez quasiment pas. D’ailleurs, ne vous êtes-vous pas échangées vos médailles de notre Dame de Lourdes l’une l’autre ? » « Si, effectivement… » Josette porte inconsciemment la main à son cou. « Je regrette tant de ne pas être restée en contact avec ma chère Mayumi. Je n’ai cessé de me poser cette question durant toutes ces années : Pourquoi n’est-elle jamais venue au diner que nous avions organisé la veille de notre départ ? Aucun appel, aucun message, aucun contact, jamais… Disparue… »

Josette sent que son bras est retenu, la forçant à s’arrêter. Elle se tourne vers son mari. Elle a un visage fatigué et son regard est peu triste. Georges aussi. Il lui sourit avec tendresse et lui annonce « Nous sommes arrivés ma douce ! » A leur gauche, à petite distance des ruines du Dôme de Genbaku se dresse un grand arbre de belle hauteur qui trahit un âge vénérable. Malgré la saison, les branches sont encore feuillues et on a l’impression de contempler une forêt d’éventails jaunes ayant colonisée le fier végétal. Le sol est toutefois recouvert de nombreuses feuilles et dans quelques jours l’arbre aura perdu l’ensemble de son apparat de feu.

Plusieurs bancs encadrent l’ancêtre et laissent aux promeneurs le loisir de se reposer sous le ramage encore fourni de l’arbre centenaire. Josette et Georges contournant un banc déjà occupé, optent pour l’un des derniers disponibles un peu plus loin. Le mari installe sa femme sur la délicate structure en bois. Elle a retrouvé son visage habituel avec la sérénité qui l’éclaire d’ordinaire. Elle s’exclame « Qu’il est beau ! ». Elle semble heureuse. Du coup, Georges aussi. Féru de botanique, il a préparé une petite présentation à l’intention de Josette. « Voici ma chérie, la raison de notre présence dans ce somptueux Parc du Mémorial de la Paix d’Hiroshima. L’arbre qui se dresse devant toi est un formidable spécimen de Gingko biloba, appelé aussi communément l’arbre aux quarante écus. C’est une espèce qui appartient au groupe des Gingkoaceae. Pour tout dire c’est d’ailleurs la seule espèce recensée de ce groupe ! N’est-ce pas incroyable ? » Un grand sourire de Josette valide la question par l’affirmative.

« On estime que ce groupe est plus ancien que celui des conifères et que réputé très robuste, il peut atteindre des longévités de plusieurs milliers d’années ! De plus, il est reconnu comme étant résistant à toute sortes de pollutions, ainsi qu’à de multiples maladies et aux attaques d’insectes ! Ultime démonstration de son pouvoir de résilience : Imagine que ce Gingko biloba a subi le bombardement de 1945. Il a été calciné sur une bonne partie de son tronc et a perdu l’ensemble de son feuillage. Durant des années, il est resté ainsi, sans feuille ni nouvelle pousse. On a songé à le couper car il donnait un aspect lugubre à cette partie du jardin. Mais un jour, les jardiniers du parc constatèrent de petits bourgeons. Ils patientèrent, plein d’espoir. On dit que certains vinrent prier tous les jours… Et le Gingko biloba s’est remis à pousser ! Regarde comme il est superbe à présent, défiant le temps et les vicissitudes de la vie ! » L’orateur a fini son exposé, les bras grands ouverts il attend l’ovation de son public. Josette joue le jeu, se lève et applaudit avec ferveur. Elle est ravie. Georges aussi.

« Quelle histoire pleine de magie mon chéri ! En cette période des fêtes de la Nativité, on aurait envie de croire à un miracle !  Tu n’es pas d’accord Georges ? »

Le mari parait embarrassé. Il piétine un peu avec un petit rictus que Josette connait. Il va lui annoncer une mauvaise nouvelle…

Colin Saldimalir 

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