« On pourrait effectivement se laisser emporter par l’histoire telle que je te l’ai contée mais ça ne serait pas honnête de ma part si je ne te disais pas tout. » Josette exprime une petite moue. Georges aussi. « En fait, le Gingko biloba n’est pas le seul spécimen à avoir survécu à la bombe. Des botanistes ont établi une liste de quarante espèces ayant résisté aux radiations atomiques et ayant « ressuscité » quelques temps après l’explosion d’Hiroshima… et dans de meilleurs délais que le Gingko biloba. On pourrait d’ailleurs penser que c’est de cette liste des quarante spécimens survivants, qui aurait donné à notre hôte son titre d’Arbre aux quarante écus ! Eh bien, figures toi que non ! L’origine de son surnom est à attribuer à un botaniste français s’étant délesté de cette somme exorbitante de quarante écus, pour en acheter cinq exemplaires ! » Georges détecte la déception s’infiltrant dans l’esprit de sa femme, qui déjà se rassit les mains jointes. « Mais attention, Josette ! Toutes ces précisions que je viens d’évoquer à l’instant, n’excluent absolument pas le côté miraculeux de notre affaire. Car la Nature n’est-elle pas une source de miracles au quotidien ? Pourquoi seul le Gingko biloba aurait-il été le seul bénéficiaire de cette nouvelle croissance inexplicable ? Moi je pense que le miracle s’est bel et bien produit, bénéficiant à l’ensemble des arbres de la fameuse liste! » La conviction avec laquelle le mari acène ses nouveaux arguments finit de convaincre Josette qui retrouve immédiatement le sourire. Georges aussi.
Il vient s’asseoir à côté de sa femme et lui prend la main avec cet amour qu’il ressent pour elle depuis le jour de leur rencontre. Certes les amoureux ont eu le temps, au cours de leur longue vie de couple, d’en subir « des petits Hiroshima sentimentaux ». Mais toujours, à l’instar du Gingko biloba, les feuilles de leur union surent repousser et la sève continua d’irriguer le cœur de leur passion.
Josette pose un baiser sur les lèvres de Georges et s’attarde quelques secondes avant de se reculer. « J’aurai tellement aimé que nous puissions être réunis ici tous les trois. Toi, moi et Mayumi, sous ce splendide vieillard qui parait plus vert que nombre d’entre nous. » Josette essuie une nouvelle larme qui glisse sur l’une de ses joues. « Et même si ses feuilles ne sont vertes mais jaunes et frêles comme nous, je suis heureuse d’être là avec toi mon Georges ! »
« Et moi, je suis heureuse que mon attente soit enfin récompensée et que je puisse enfin cueillir les fruits de ma patience. »
Le couple se retourne de concert en direction du banc d’où provient cette phrase prononcée par une voix féminine et qui plus est, dans un excellent français. Josette se lève en silence, doucement. Georges aussi. Face à eux, dans la pénombre qui a envahi le parc, une silhouette se dresse à son tour, quittant le banc qu’elle occupait jusqu’alors. Elle fait quelques pas dans leur direction avant de s’arrêter. Il s’agit d’une invitation à la rejoindre. Josette l’a compris. Pas Georges. La française se rapproche de l’inconnue et distingue une japonaise traditionnellement maquillée, vêtue d’un magnifique kimono de cérémonie. La femme s’incline lentement sans rompre le silence ambiant afin de saluer le couple selon les us du pays pour enfin se redresser en arborant un grand et radieux sourire. L’éclairage automatique profite de cet instant pour se déclencher. On se croirait dans une pièce de théâtre où tout s’enchaine selon une précise mise en scène préalablement établie. Josette s’exclame « Mon Dieu ! ». Georges aussi.
La Geisha, resplendissante, détache quelque chose de son cou et s’avance, couvrant les quelques mètres la séparant de Josette. Elle lui tend ses mains qui renferment une offrande. « Merci à toi, mon amie, pour le cadeau que tu me fis jadis. Il fut pour moi la source d’un grand réconfort et, je n’en doute pas, un acteur essentiel de ma guérison. Il est maintenant temps que tu le récupères. » Les mains de la japonaise s’ouvrent et révèlent la médaille en or donnée à Mayumi, il y a de cela si longtemps.
Josette a elle aussi détachée sa médaille anciennement offerte par son amie Mayumi pour la serrer dans ses mains. A son tour, elle les ouvre et dévoile le bijou à la vue de la Geisha.
Les deux femmes se regardent un long moment. Le temps semble s’être figé. Elles ne sont extraites de leur silencieuse communion que par l’irruption d’une violente bourrasque venue d’on ne sait où, tel un petit kamikaze taquin.
Les deux amies s’enlacent enfin et se mettent à rire en bénissant ce véritable miracle de Noël. Georges aussi. Ce faisant, il quitte du regard les heureuses retrouvailles et avance vers le tronc du Gingko biloba afin d’avoir, lui aussi, quelqu’un à enlacer.
Colin(–San) Saldimalir